Challenge AZ 2025 : C
Costumes
À Nice, à peine les décorations de Noël rangées, la ville se prépare déjà pour le carnaval. Les affiches envahissent les murs, le programme circule, et les enfants rêvent déjà aux costumes qu’ils porteront, aux personnages qu’ils incarneront le temps d’une journée.
Ici, le carnaval rime avec grosses têtes en carton-pâte, chars fleuris et pluie de confettis. Mais ailleurs, la fête prend une toute autre forme.
En Slovénie, et plus particulièrement dans la région de Ptuj, le carnaval, appelé Kurentovanje, perpétue une tradition séculaire qui attire chaque année des milliers de visiteurs.
Du 2 février, jour de la Chandeleur, jusqu’au mercredi des Cendres, les kurenti, figures mythiques du carnaval slovène, parcourent les villages de la région de Ptuj accompagnés d’autres masques hauts en couleur.
Source : www.koranti-lancova.si
Cette célébration ne se limite pas à un simple défilé : elle s’inscrit dans un véritable rituel social. Chaque participant joue un rôle précis, transmis de génération en génération.
Les kurenti, vêtus de peaux de mouton et coiffés de masques impressionnants, se déplacent toujours en groupe. Partout où ils passent, dans les rues, les champs ou les maisons, ils bondissent et tournent sans cesse pour faire résonner leurs clochettes le plus fort possible. Ce tintement joyeux, qu’on entend parfois du matin jusqu’à la nuit tombée, est censé chasser l’hiver et appeler le printemps.
Autrefois, le « temps des kurenti » s’étendait du jour de la Chandeleur jusqu’au mercredi des Cendres. Les jeunes hommes enfilaient leur costume complet le week-end précédant le carnaval, puis allaient de village en village rendre visite aux filles ou à leurs connaissances. Dans les maisons, ils gardaient leur capuche et ne la retiraient qu’une fois à l’intérieur, ce qui donnait au kurent une allure mystérieuse, aujourd’hui en partie perdue.
Une ancienne coutume voulait que, lorsque le premier kurent arrivait à la maison au petit matin, la maîtresse de maison jette un vieux pot depuis le grenier, un geste censé favoriser la ponte des poules pour l’année à venir.
Les kurenti forment une confrérie où chaque geste, chaque accessoire a sa signification. Leur costume, impressionnant et bruyant, s’accompagne d’un code d’honneur : le bonnet, ou la coiffe ornée de plumes et de cornes, ne doit jamais être retiré. C’est la plus grande honte qu’un kurent puisse subir. Pour se défendre, ils portaient autrefois une sorte de bâton garni de peau de hérisson, une arme symbolique appelée ježevka, utilisée pour repousser les curieux un peu trop audacieux.
Source : https://kurentovanje.net
Lorsque deux groupes de villages différents se croisaient, la rencontre pouvait parfois dégénérer : les kurenti se provoquaient, et il n’était pas rare que ces confrontations se terminent en véritables batailles rituelles. Ces affrontements, aujourd’hui disparus, faisaient partie du folklore et traduisaient la rivalité bon enfant, mais parfois violente, entre villages voisins.
À leurs côtés marche toujours un personnage singulier : le hudič, le diable. Vêtu de rouge ou de noir, il porte un masque aux cornes plus courtes et des ailes de corbeau fixées sur les épaules. Il brandit une fourche, symbole de sa puissance, et accompagne les kurenti dans leur ronde à travers les villages.
Source : https://ljnovice.si
Le kurent n’est d’ailleurs pas seul à animer cette période de fête. Il est entouré d’autres personnages carnavalesques, comme les orači, les laboureurs rituels, qui symbolisent la fertilité des champs, la santé des troupeaux et la prospérité des foyers. Ensemble, ils forment un cortège haut en couleur, à la fois effrayant et joyeux, qui relie les vivants aux forces de la nature dans un grand rite de passage entre hiver et printemps.
Source : https://www.kamra.si
Le costume du kurent est une véritable œuvre d’art artisanale, à la fois lourd et coûteux : un ensemble complet peut atteindre près de mille euros et peser jusqu’à quarante kilos. Confectionné dans des ateliers spécialisés appelés “korantnijas”, il se compose de peaux de mouton (cinq à sept pour un adulte), de chaussettes rouges à picots, de chaussures solides et d’un foulard écarlate. Autour de la taille, cinq grandes clochettes résonnent à chaque saut.
Le masque, élément le plus spectaculaire, est fait de peau de mouton et orné de plumes ou de cornes, selon le type de kurent. Son visage grotesque — groin de cochon, dents en haricots, langue rouge pendante — est conçu pour effrayer les mauvais esprits. Des rubans colorés et fleurs en papier décorent le sommet du masque, tandis qu’un bâton de bois, terminé par une petite peau de hérisson séchée, sert à la fois d’arme symbolique et de support pour les mouchoirs offerts par les jeunes filles.
Au-delà des costumes et du bruit des clochettes, la tradition des kurenti est avant tout une histoire de liens humains. L’effort collectif qu’elle demande crée de véritables relations entre les générations et les villages, rappelant combien ces moments partagés sont essentiels à notre vie quotidienne.
Son inscription au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO marque une reconnaissance précieuse pour la Slovénie et pour tous ceux qui, chaque année, font vivre et préservent cette tradition unique.