Challenge AZ : R
Rien
Eh bien oui : rien. J’ai pourtant essayé. J’ai même commencé trois articles. Le premier portait sur les différents réseaux : familiaux, sociaux, professionnels… un sujet que j’aime beaucoup, mais il refusait d’avancer. Le deuxième traitait des recensements, une source que j’utilise pourtant quotidiennement et qui est incontournable : impossible d’en tirer quelque chose de satisfaisant. Quant au troisième, là j’ai vraiment touché le fond… J’ai voulu écrire sur le mot « régime » et me suis retrouvée à fouiller la presse ancienne à la recherche d’articles et de publicités sur les pilules amaigrissantes. Passionnant, certes, mais j’y ai perdu un temps fou pour un résultat bancal.
Mais le rien n’est jamais vraiment rien. Il y a toujours quelque chose à en tirer. Ici, c’est simplement une pause méritée : chercher des idées chaque jour, les creuser, vérifier ses informations, les sourcer correctement… tout cela demande du temps et de l’énergie. Cette respiration fait donc pleinement partie du processus. Comme je l’ai écrit dans un précédent article, mettre une recherche de côté ne signifie pas l’abandonner. C’est simplement laisser les informations mûrir, le temps qu’elles révèlent de nouvelles pistes, de nouvelles connexions, et parfois même des solutions que l’on n’avait pas envisagées.
Source : Photographie Paris, 15-8-31, Paris désert, Agence Rom, 1931
Il existe aussi le « rien » que l’on redoute. Celui qui survient après avoir exploré toutes les pistes possibles – ou en tout cas l’impression de les avoir toutes épuisées. Après avoir consulté des archives de toute nature, laissé reposer la recherche pour y revenir avec un regard neuf, interrogé la famille et l’entourage, on finit parfois par se heurter à une évidence : il n’y a rien de plus à trouver. Aucun acte supplémentaire, aucun indice caché, aucune trace laissée par cette personne. Ce silence documentaire, pourtant très courant en généalogie, peut être difficile à accepter.
C’est alors qu’un autre travail commence. D’abord, il faut apprivoiser la frustration, faire la paix avec l’idée que certaines vies n’ont laissé que très peu d’empreintes, que les archives ont leurs limites et que l’absence de documents raconte parfois quelque chose en elle-même. Ensuite vient le moment de remettre en question sa propre méthode : ai-je vraiment tout envisagé ? ai-je manqué une piste ? Ce doute fait partie intégrante de notre métier. Enfin, il y a l’étape délicate mais essentielle : transmettre au client les résultats, même minimes, avec honnêteté, pédagogie et respect. Expliquer que l’absence d’informations n’est pas un échec, mais une réalité historique, et que ce “rien” peut malgré tout éclairer une époque, un contexte, une condition sociale. Parfois, ce que l’on ne trouve pas raconte presque autant que ce que l’on découvre.
Source : Photographie Intérieur du tunnel Jenner (Le Havre) éclairé 1961-1962, https://archives.lehavre.fr
Il n’y a jamais vraiment « rien » dans nos têtes. On pense, on réfléchit, on détricote des idées, on analyse des détails, on refait le film, on anticipe, on se remémore… Bref, ça travaille en arrière-plan, souvent plus qu’on ne l’imagine. Et puis, presque naturellement, après ce bouillonnement invisible, quelque chose finit par émerger. Une idée s’affine, une phrase s’impose, un fil conducteur apparaît. Et au final, c’est de ce chaos silencieux que naît l’article.
Demain, c’est « S », on n’est pas à l’abris d’un article sur la salade niçoise…