Challenge AZ : N

Noms

« Qu’y a-t-il en un nom? » Hé bien William, il y a pas mal de choses : des personnages, des disparus, des inconnus, des histoires, des non-dits, des trop-dits, des silences… Les noms restent ou s’effacent pour toujours, souvent à cause des femmes, suprématie du patronyme oblige.

Plus jeune, j’étais assez fière de porter un nom pas commun, qui commence par un « Z », c’était exotique même si personne n’arrivait à le prononcer. En me plongeant dans l’histoire de mes ancêtres, je me suis rendue compte que je portais le nom d’un homme qui n’est pas lié à ma famille, il a juste été là une dizaine d’années, le temps de se marier avec ma grand-mère, de donner son nom à ses trois enfants dont il n’était pas le père biologique et de les emmener en France. Cet homme n’étant pas connu pour être un père aimant et un mari attentionné, je n’ai pas du tout entamé de recherches sur sa famille, j’ai effacé l’homme dont je porte le nom…

Source : Acte de mariage d’Alojzij Žmaher et Albina Vodnik

En suivant la branche maternelle, c’est un tout autre nom qui serait le mien : Le Rumeur. Et celui-là, il remonte déjà à pas mal de générations, pas toujours avec le préfixe « Le ». Il nous vient de Bretagne, plutôt du Finistère et contre toutes attentes à une autre signification que son homonyme féminin selon Francis Gourvil (dans Les noms de famille bretons d’origine toponymique, éd. Société Archéologique du Finistère, 1970, Quimper):

Et puis, en avançant dans mes recherches, je me suis aussi arrêtée sur d’autres noms du côté maternel, mais pour des raisons bien différentes : parfois pour leur sonorité surprenante, parfois parce qu’ils sont très présents dans certaines branches, ou encore pour les images qu’ils évoquent immédiatement. Certains patronymes intriguent, amusent, questionnent:

  • Est-ce que les Trouillard avaient tendance à prendre leurs jambes à leur cou?

  • Les Cercleron ont-ils essayé les cercles carrés?

  • Les Contrepois étaient-ils équilibrés?

  • Gilette Le Borgne y voyait-elle clair?

  • Combien mesurait Mathurin Le Petitcorps?

Très peu de réponses malheureusement, à part pour Mathurin, 1m68 selon sa fiche matricule.

Et il y a ceux et celles à qui on a attribué un nom, les enfants naturels. Marie Louise Françoise Fortunée est née le 1er juin 1822 de Marie Louise Françoise Martin, non mariée. Son nom de famille est donc Fortunée.

Source : Extrait de l’acte de naissance de Marie Louise Françoise Fortunée, AD28, NMD Argenvilliers, 1821-1828, 3 E 010/008, vue 33/201

Pourtant, lorsqu’elle donne naissance à son fils, dont le père n’est pas dénommé, il reçoit le nom de Martin.

Source : Extrait de l’acte de naissance de Louis François Martin, AD28, NMD Argenvilliers, 1845-1851, 3 E 010/011, vue 3/216

Alors que son nom est Fortunée lors de son mariage 13 ans plus tard…

Source : Extrait de l’acte de mariage de Louis Etienne Veron et Marie Louise Françoise Fortunée, AD28, NMD Unverre, 1857-1860, vue 96/251.

Il y a des noms qu’on laisse tomber un temps lorsque l’on fait des recherches, parce qu’on se retrouve dans une impasse, parce qu’on les voit partout… Et puis on y revient, un jour, presque malgré soi. On les regarde autrement, avec un nouvel indice en main, un regard plus affûté ou simplement un peu plus d’expérience. Ces noms-là deviennent alors des portes ouvertes sur notre héritage : ils racontent des morceaux d’histoire familiale, éclairent des liens oubliés et nous rappellent que, derrière chaque patronyme, il y a des vies, des choix et des traces laissées pour nous mener jusqu’à aujourd’hui.

Alors finalement, « qu’y a-t-il en un nom? » Sans doute tout ce que l’on choisit d’y mettre: un peu d’histoire, un peu de nous. Les noms ne sont pas figés, ils vivent avec nous, se colorent de ce que l’on y apporte et se transforment au fil de nos recherches. Et c’est peut-être ça le plus bel héritage : la liberté de donner à chaque nom la place et le sens qui résonnent avec notre propre parcours.

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