Challenge AZ : F

Femmes

« Vous les femmes », ce ne sont pas vos sourires qui nous attirent et nous désarment comme le dit Julio, ce sont les traces imperceptibles que vous laissez dans les archives. On ne vous blâme pas, l’histoire s’est longtemps écrite au masculin. Le modèle patriarcal a façonné la mémoire collective, les femmes, privées de droits civiques, économiques et parfois même d’identité propre, étaient perçues « sans histoire ». Pourtant, elles sont partout et dans les archives, il faut les chercher dans les marges, sous d’autres noms.

Le nom est d’ailleurs la première difficulté lorsqu’on recherche les femmes dans les archives.

Sous l’Ancien Régime, une femme n’a pas d’identité propre, elle est la fille de son père, l’épouse de son mari et la veuve d’un défunt. Son nom change au gré des liens avec les hommes de son entourage.

Les prénoms, eux, n’offrent que peu d’aide. Avant la Révolution, la majorité des filles portent les mêmes : Marie, Anne, Marguerite, Louise… Le choix est dicté par la religion ou la tradition familiale, souvent en hommage à une marraine ou à une grand-mère. Ce manque de variété rend les lignées féminines difficiles à distinguer. Vers 1800, des prénoms plus originaux apparaissent mais c’est encore timide.

Source : AD56, Table des baptêmes de Crach, 1644-1791, 1 MiEC 46, vue 7/87

Quant aux noms de famille, ils s’effacent presque toujours derrière celui du mari. Dans les actes comme sur les pierres tombales, on lit parfois « épouse de » ou « veuve de », sans trop savoir qui elle était avant. Leur nom de naissance, celui du père, disparaît peu à peu, comme si leur histoire s’arrêtait au mariage.

Certaines femmes s’effacent même des registres tout entiers. Devenues veuves, pauvres, ou simplement isolées, elles changent de paroisse, entrent au couvent ou disparaissent sans laisser de trace. Ce silence reflète une société où la femme n’existe que par le lien qu’elle entretient avec un homme.

Il y a pourtant des archives où l’on peut retrouver les femmes, encore faut-il que ces dernières s’écartent de la morale.

C’est en effet dans la transgression que leur présence devient visible dans les sources. L’« édit d’Henri II de 1556 » oblige les femmes enceintes hors mariage à déclarer leur grossesse devant la justice, sous peine d’être accusées d’infanticide. La réglementation reste en vigueur jusque dans les années 1830. Ces déclarations sont conservées dans les archives judiciaires, séries B, puis U pour certaines régions. Ce sont des documents précieux puisqu’y sont recensés le nom, la profession, le domicile, l’âge et le nom des parents de la déclarante. Le nom du père de l’enfant peut y apparaître afin qu’il participe à l’entretien de l’enfant ainsi que les circonstances de la conception. Ces archives constituent des sources rares sur la condition féminine et les violences sexuelles avant le XIXᵉ siècle.

Le regard porté sur les filles-mères progresse-t-il vraiment?

Source : Le Film complet, 15/10/1931, Edition de Mon ciné, Paris

Restons dans les séries B, U et F pour rendre visite aux prostituées et aux mères infanticides. Les archives criminelles et policières conservent le destin tragique de ces femmes souvent poussées par la misère ou la honte.

La prostitution a produit une abondance d’archives administratives, notamment au XIXᵉ siècle, lorsque les femmes “inscrites” étaient soumises à une surveillance médicale et policière.

Source : AD06, extrait du registre de prostitution, Cannes, 4 M 1679

Ces documents, registres, procès-verbaux et rapports de police, témoignent de la manières dont les autorités masculines encadraient le corps féminin, qu’il soit maternel ou sexuel.

Les femmes ont toujours travaillé, même si elles sont notées « sans profession » dans les recensements ou différents actes, elle participent à la vie économique, elles travaillent dans les exploitations agricoles, gèrent les boutiques, le linge et les enfants, des activités rarement reconnues comme « métiers ».

Il existe toutefois des métiers typiquement féminins : les nourrices et les sages-femmes. Pour les premières, les sources les concernant sont à chercher dans les archives d’hospices ( séries H-dépôt et série X) qui contiennent les registres de placement, listes de paiements et correspondances administratives. Pour les deuxièmes, leur formation, leur serment et leurs pratiques sont documentées dans les archives médicales et préfectorales.

Source : Delcampe.net

Alors que répond-on à Patrick Juvet qui se demande « où sont les femmes? Avec leurs gestes pleins de charmes », et bien, qu’elles n’ont pas disparu! On les a simplement cherché ailleurs. L’histoire, écrite par les hommes, a hiérarchisé la mémoire, reléguant les femmes à la sphère privée et domestique, au second plan. Pourtant, leurs tracent demeurent. Les retrouver, c’est réparer la mémoire collective et rappeler que l’histoire reste incomplète tant qu’elle tait la moitié de l’humanité.

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